6 juillet 2017
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21:12
Juste une citation que j’avais gardée sous le coude extraite de « Le monde à peu près » de Jean Rouaud, éd. de Minuit :
« Manifester est un art. Il ne suffit pas de défiler derrière les banderoles et de reprendre en chœur les chansons aux paroles détournées qu'entonne dans son mégaphone en forme de fleur avec son pistil central un militant poète, il faut avoir l'air convaincu, presque farouche, sans se départir pourtant d'un côté bon enfant, volontiers blagueur mais prude, bon vivant mais avec de la tenue, preuve qu'un militant ne dédaigne pas de goûter les fruits du travail mais veille à n'en pas abuser, et donc grave et léger, tout en progressant d'un pas lent sans donner le sentiment de traîner des pieds, en veillant à adresser des sourires complices aux passants massés sur le bord du trottoir, en les invitant par un bon mot à se joindre au mouvement, en refusant de polémiquer avec les provocateurs qui vous traitent de fainéants, et surtout en donnant l'impression que pour rien au monde vous ne voudriez échanger votre place. »
5 juillet 2017
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Une heure avec Michel Merlen dont un mail de Claude Vercey vient de m’annoncer le décès. Michel Merlen c’était pour moi 3 ou 4 lettres, à peu près autant de coups de fils, un nom que le bouquiniste que je suis retrouve des quantités impressionnantes de fois dans les revues des années 70, un livre chez Gros Textes en duo avec Catherine Mafaraud-Leray,
https://sites.google.com/site/grostextes/publications-2012/mafaraud-catherine-merlen-michel, un poète discret et essentiel, exigeant à la façon d’un Robert Momeux, autre auteur à peine croisé, ou bien sûr Jean-Michel Robert qui lui aussi a plié bagages l’année dernière. J’ai une pensée pour ce révolté tendre, poète insoumis (né en 1940, il a pris en pleine face la guerre d’Algérie et les blessures qui ne se ferment jamais tout à fait), et son indéfectible parti-pris pour l’amour et la vie :
« Je n’ai plus peur
La ville a un beau corps
Au détour d’une place
Les yeux dans les yeux
Nous ranimons
Les roses noires
Les oiseaux dorment sur leurs ailes
La mort viendra
Je sais
Mais je vivrai d’abord »
*
« Les rues marchent toutes seules
il fait noir comme jamais
c’est la nuit
dans son lit
un homme se retourne
au passage de sa mémoire
le désir triomphe des veuves
l’hiver sourit avec ses dents de neige
la mort ne viendra jamais
c’est toujours la vie
qui gagne la partie »
4 juillet 2017
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Une heure avec « Milo » de David Bosc, éditions Allia.
L’image de couverture n’a rien de folichon mais sur la quatrième cette simple phrase a titillé ma curiosité : « Si ma tristesse est une chemise, je ne la remets pas. » Et j’ai découvert un roman fort à mon goût au style somptueux.
C’est l’histoire d’un banni, laissé pour compte, squatteur semi clodo, qui revient sur les lieux de ce qui aurait pu être une enfance et tente d’y survivre. La survie, c’est bien toute l’affaire, un peu comme chez Beckett (Murphy, Mercier, Molloy, Malone) avec le même type de densité oppressante jusqu’à en devenir hallucinante voire comique. On avance dans un monde de poupées de chiffon en retenant le cri de l’enfant, en faisant diversion en récupérant des trucs à la décharge et en observant les frères humains. En sifflotant de la sagesse également dans les pires moments : « Milo fredonne une comptine, il se rassure, il reprend pied // Rondin, picotin, la Marie a fait son pain / Pas plus gros que son levain / Son levain était moisi / Et son pain tout aplati / Tant pis. // Une comptine, c’est une arme de héros. C’est toute l’essence du courage antique. »
3 juillet 2017
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23:08
Une heure avec Les Hommes sans épaules n°42, ne suffira pas. http://www.leshommessansepaules.com/revue-Dossier___Claude_PELIEU_&_la_Beat_generation-41-1-1-0-1.html
Après un hommage de Christophe Dauphin à Yves Bonnefoy viennent les porteurs de feu, Hans Magnus Enzensberger et Cees Nooteboom, poésie de combat d’un côté « Qu’attendez-vous encore ? Fourrez-vous des bijoux / Des ouvre-boîtes et des clavecins dans le giron, / proposez à Némésis un forfait / et pliez bagages ! et n’oubliez pas d’empaqueter / vos valeurs, vos masques à gaz et vos bas-ventres ! » et de l’hésitation de l’autre « Tout cela, c’est moi qui l’ai inventé, / les danses, l’eau / la voiture, la glace… Sauf toi, toi je ne t’ai pas inventée / Toi, tu étais sortie du temps translucide, / peut-être comme moi, peut-être autrement… »
(à suivre)
2 juillet 2017
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20:48
Une heure avec une mise au point et Jean-Claude Pirotte et Jean-Louis Bergère.
- Dis donc Artufel t’as vu ton blog ? Tes articles foutent le bourdon, on n’y parle que de tristesse mélancolique, de désespoir, de souffrance, de vieillissement et de mort. Et puis les chansons, Mario de Bertin et Nataq de Desjardin, elles donnent juste envie d’aller se pendre.
- Mais elles sont belles ces chansons, l’intro saxo de Bertin et le piano de Desjardin avec le violon, merde ça remue les tripes non ? Et puis je revendique le désespoir souriant et la mélancolie joyeuse. D’ailleurs tiens, j’ai passé un moment avec Jean-Claude Pirotte, un auteur belge donc plein d’humour comme en témoigne ce poème dans Autres séjours, éd. Le temps qu’il fait : « Je t'écris chaque jour / je sais que tu peux lire / d'instinct, d'un seul coup d'œil /entre toutes les lignes // pensez-vous dit la voisine / il écrit à son chat / s'il vivait passe encore / mais son chat il est mort // (poème écrit pour son chat, qui venait de mourir) »
Et Masque et figure de Jean-Louis Bergère, éd. Potentille https://potentille.jimdo.com/les-parutions/le-catalogue-complet/jean-louis-berg%C3%A8re/
La figure au fond c’est le masque qu’on met sur notre tête de mort. Et puis Jean-Louis est chanteur aussi, en le lisant j’ai pensé à Ferré, vingt ans « Pour tout bagage on a sa gueule / Quand elle est bath ça va tout seul / Quand elle est moche on s’habitue / on s’dit qu’on est pas mal foutu… » Oué au fond la figure, c’est une histoire de peau et la peau c’est mort, une affaire de divisions moléculaires qui ne vont pas tarder à dégénérer. « Pas mort non mais parfois vivant de trouille », c’est tout simple et ça m’amuse, ou alors « Fin de quarantaine demain je vais pouvoir manger à ma fin », et ça marche encore mieux avec les décennies suivantes…
1 juillet 2017
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19:00
Une heure avec Exil de Marie Guastalla (aquarelles) et Jean-Pierre Petit (texte).
http://cardere.fr/poesie-contemporaine/141-exil-9782914053983.html
Tout au long de l’ouvrage au format paysage, on ne voit que des personnages stylisés qui avancent dans le même sens dans une forme de tunnel, en rang ou par groupes, dispersés ou se tenant la main, troupe immense dans le temps et l’espace pour la plupart aveugles ou borgnes, vaille que vaille, ils avancent sans savoir pour quelle destination. Parfois ils s’interrogent, où allons-nous ainsi ? d’autres fois ils voudraient se poser, se reposer, cohorte hétérogène qui n’a cesse d’avancer dans le tunnel où tout arrêt est impensable. On peut penser qu’au bout sera le bonheur et que le but vaut bien de supporter souffrance peur et incompréhension. Il y en a qui écrivent ou griffonnent de drôles de choses, d’autres fredonnent. Est-ce que ça sert à quelque chose ? En tout cas ça les aide à tenir debout.
Le texte tient en deux pages mais on peut bien passer une heure à suivre en aquarelle cette histoire tellement banale, tellement envoûtante, tellement ressemblante à l’humaine destinée, au trajet commun
Pensé à cette chanson de Richard Desjardin en marchant avec les autres :
29 juin 2017
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Encore une heure avec la revue Traction Brabant n°73, Moi je vote pour la poésie.
Où l’éditorialiste se pose la question des raisons qui le pousse à aimer la poésie et s’étonne de ne pas se l’être posée plus tôt. Il a fallu attendre 13 ans et 73 numéros. Patrice Maltaverne dit croire « en la poésie parce que ce n’est pas une religion ». Pour ma part j’ai des doutes sur le bidule car il me semble avoir croisé dans le marigot, des machins qui ressemblaient étrangement à des prêtres. Mais bon… On va pas se chamailler pour ça. D’autant qu’un peu plus loin Julien Boutreux nous met d’accord : « tu me parles du poète / de son refus du monde / de son écriture au-dessus de la vie / son écriture qui ne tient pas vraiment debout / qui danse sur le sol du réel / de son mouvement flottant / de son appui léger / de son trait fin / de son manque de fermeté / de sa trajectoire sinueuse / de ses oscillations autour de la verticale / de ses formes liées et combinées et ornées qui l’enferment / tu me parles de ce foutu poète / qui s’est construit un monde de rêve / une tour d’ivoire / un mur autour de lui / sur lequel il peint des fresques qu’il appelle l’infini / tu me parles du poète / et je te réponds oui c’est un grand malade / d’ailleurs je ne donne pas cher de ma peau de vent »
28 juin 2017
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Une heure avec la revue Traction Brabant n°71, Alice au pays des vermeils. http://traction-brabant.blogspot.fr/
Un édito au sourire grinçant par le maître des lieux, Patrice Maltaverne, qui cause amitié entre poètes sur le mode du « tu parles » pour dresser un portrait à charge de l’animal, avant que Cathy Garcia n’enfonce le clou bien profond « on peut tout faire avec un poète, et surtout rien… », on est d’ailleurs souvent à la marge de la poésie comme j’aime l’être dans ces pages et comme pouvait l’être feu la revue « microbe » de l’ami Dejaeger, ces marges où j’ai plaisir à me prélasser, picorer de ci de là, quelques bêtises savoureuses « Mange ta soupe, mon fils, pour devenir un assassin, comme ton papa », une évocations de Buster Keaton, le poète du gag, ou quelques ruptures fulgurantes « Renonce, ce n’est pas réparable, je suis loin maintenant, hors d’atteinte, oublie-moi, c’est trop déchiré, récupère tes portes battantes, tes mots poisseux, ton permis de détruire et rends-moi : le bandeau pour garder les yeux secs et frais, la poudre pour raviver l’estime de soi, la puissance de la confiance, les plantes à feuilles, le faux cactus, la nappe qui oblige à manger en silence, les couverts que j’ai tordus par la pensée, la lucarne et le ciel dans le grenier, le reste, tu peux prendre. » (Florentine Rey), passer du temps et écrire de longues phrases que je sais pas si elle est très correcte celle là.
27 juin 2017
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Une heure avec « Mes amis » d’Emmanuel Bove (vieux livre de poche) mais ce titre se trouve aux éditions « L’arbre vengeur ».
C’est l’histoire d’un blessé de la guerre (14-18) un peu, et blessé de la vie, normalement, un solitaire qui cherche à se faire des amis avec toutes les maladresses des égarés de l’existence, des encombrés de la relation à l’autre, des mendiants d’une affection quelconque qu’ils ne savent pas par quel bout aborder. Le livre plutôt fin se découpe en chapitres assez courts comme autant de nouvelles au style précis et minimaliste s’appuyant sur des phrases courtes et d’une attention aux détails d’un quotidien intemporel qui le rend étonnamment moderne (il est sorti en 1924) et quasi universel.
« Un homme comme moi, qui ne travaille pas, qui ne veut pas travailler, sera toujours détesté. J’étais dans cette maison d’ouvrier, le fou, qu’au fond, tous auraient voulu être. J’étais celui qui se privait de viande, de cinéma, de laine, pour être libre. J’étais celui qui, sans le vouloir, rappelait chaque jour aux gens leur condition misérable. »
Ce roman se place du côté des humbles et des laissés pour compte montrés avec leurs faiblesses et leurs maladresses, leurs désirs dérisoires et leurs angoisses ordinaires avec ce sentiment de s’être trompé de vie en rentrant dans un corps à la limite de l’étrangeté mais auquel on s’accroche maladivement comme notre seul bien dans l’absurdité de l’infini :
« Je me sens tout petit à côté de l’infini et bien vite j’abandonne ces réflexions. Mon corps chaud, qui vit, me rassure. Je touche avec amour ma peau. J’écoute mon cœur, mais je me garde bien de poser la main sur mon sein gauche car il n’y a rien qui m’effraie tant que ce battement régulier que je ne commande pas et qui pourrait si facilement s’arrêter.»
24 juin 2017
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Je reste avec Alfonso et son bestiaire qui englobe allègrement quelques objets comme l’indique le titre (Rigoler avec une pantoufle) avec une tendresse toute particulière pour les mouches :
« Les mouches sont des saintes, elles ont de toutes petites auréoles qu’on aperçoit à peine, forcément. Si vous mettez une auréole normale, celle de saint Barnabé par exemple, sur une toute petite tête elle ne tient pas la route, elle flotte et le vent l’emporte, de même qu’une chaussure de pointure 45 ne saurait convenir à un joli petit pied délicat. Ne m’obligez pas à articuler des évidences !
Les mouches ont une vie très courte, très aléatoire, elles vont et viennent en été seulement, et les chats les bouffent, on les extermine méthodiquement de manière diabolique avec des papiers enduits de colle, on les écrase d’une claque car on les trouve désagréables quand elles se posent sur la peau. Certaines personnes se croient malheureuses et se plaignent sans cesse, je voudrais bien les voir à la place d’une mouche !
Elles sont modestes, se contentent de peu, affluent goulûment sur les bouses de vache, elles acceptent sans problème les mets les plus répugnants, franchement j’admire leur sagesse, leur faculté d’adaptation aux conditions les plus difficiles ! Certes, elles ne refuseraient pas des ortolans, mais nous les laissent de bon cœur. Elles sont altruistes.
Il paraît que le paradis ne leur est même pas ouvert… voilà une énorme injustice à mettre sur le compte du créateur ! Encore un qui n’aime pas les mouches ! »