22 novembre 2018
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Que mourait Jack London en 1916. Je n’oublierai jamais l’émotion fébrile du jeune homme de 20 ans que j’étais lorsque je lus Martin Eden quelque part dans la montagne. Cette histoire d’amour et d’arrachement impossible à sa condition de classe est toujours d’une étonnante actualité, tout comme cet incroyable roman d’anticipation politique prémonitoire qu’est « Le talon de fer ».
Mais restons-en aux dernières lignes de Martin Eden que le jeune homme que j’étais avait reçues comme un uppercut dans le cœur : « La mort ne faisait pas souffrir. C'était la vie, cette atroce sensation d'étouffement : c'était le dernier coup que devait lui porter la vie. Ses mains et ses pieds, dans un dernier sursaut de volonté, se mirent à battre, à faire bouillonner l'eau, faiblement, spasmodiquement. Mais malgré ses efforts désespérés, il ne pourrait jamais plus remonter ; il était trop bas, trop loin. Il flottait languissamment, bercé par un flot de visions très douces. Des couleurs, une radieuse lumière l'enveloppaient, le baignaient, le pénétraient. Qu'était-ce ? On aurait dit un phare. Mais non, c'était dans son cerveau, cette éblouissante lumière blanche. Elle brillait de plus en plus resplendissante. Il y eut un long grondement, et il lui sembla glisser sur une interminable pente. Et, tout au fond, il sombra dans la nuit. Ça, il le sut encore : il avait sombré dans la nuit. Et au moment même où il le sut, il cessa de le savoir. »
Sinon ce 22 novembre, j’ai animé un atelier d’écriture sur le thème du chemin et en écho à la fin de Martin Eden, je propose ce poème de Machado : « Le chemin // Tout passe / et tout demeure / Mais notre affaire est de passer / de passer en traçant / Des chemins / Des chemins sur la mer / Voyageur, le chemin / sont les traces de tes pas / C'est tout; voyageur / il n'y a pas de chemin, / Le chemin se fait en marchant. / Le chemin se fait en marchant / et quand on tourne les yeux en arrière / on voit le sentier que jamais / on ne doit à nouveau fouler. / Voyageur, il n'est pas de chemin, / Rien que des sillages sur la mer. »
21 novembre 2018
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Que mourait Robert Benchley en 1945, un pilier du journal le New Yorker, c’est un repère dans l’humour du 20ème siècle.
« Au cours de l'été 1889, alors que j'élaborais mon traité Du rire chez les larves, nous avons élevé une guêpe femelle dans notre maison de campagne des Adirondacks. C'était d'ailleurs plus notre enfant que notre guêpe, à ceci près qu'elle avait plus l'aspect d'une guêpe que d'un enfant, détail qui nous permettait, entre autres, de faire la distinction. »
J’en profite pour étaler une deuxième couche du bouquin de Jean-Claude Touzeil et photos d’Yvon Kervinio, « Vox populi ».
« Déjà // Les nouvelles / du journal / ne sont pas / très nouvelles // Du temps de Cro-Magnon / on se battait déjà / pour un bout de terre / une caverne / un mammouth / une outre de lait / on regardait de travers / arriver l’étranger // Et pour qui sait lire / entre les lignes / on avait déjà / le cœur déchiré »
20 novembre 2018
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Que mourait Paul Tourenne en 2016, le dernier des Frères Jacques. « La branche » n’est pas la chanson la plus connue de leur répertoire. On la doit à Robert Nyel et Gaby Verlor. « Le p’tit bal perdu » de Bourvil c’était eux aussi. Et l’énorme « Déshabillez-moi » de Gréco également
Ce 20 novembre, en feuilletant de vieux numéros de la revue « la main de singe » (1991), je tombe sur ça : « Je montrais un jour la mer à une jeune fille qui la voyait pour la première fois ; elle m’affirma trouver bien plus impressionnant un champ de pommes de terre. » (Francis Picabia)
19 novembre 2018
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Qu’un nazi abattait d’une balle dans la tête Bruno Schulz en pleine rue du ghetto de Drohobycz en Ukraine alors qu’il allait chercher un peu de nourriture en 1942. Plus connu pour son œuvre plastique, il a écrit deux recueils de nouvelles où les souvenirs autobiographiques côtoient l’imaginaire dans un style très personnel.
« Qui connait, disait-il, le nombre des formes de vie fragmentaires, souffrantes, mutilées — celles des tables et des armoires, faites de bric et de broc, assemblées à grands coups de marteau ? Meubles de bois crucifié, tristes martyrs de la cruelle ingéniosité humaine, horribles transplantations de races d'arbres qui s'ignorent ou se haïssent et qui, enchaînées ainsi l'une à l'autre, deviennent une individualité unique et déchirée... Que de vieille sagesse tourmentée il y a dans les nœuds vernis, les lignes et les veines de nos armoires vénérables et familières ! Qui saura reconnaître en elles des traits, des sourires, des regards rabotés et polis jusqu'à perdre toute identité ? »
Ce 19 novembre, j’ai feuilleté le numéro 8 de la revue Tribu que Serge Pey dirigeait en 1982. Ce numéro était consacré à Gerado Mario Goloboff, écrivain argentin donc balloté entre enfer des dictatures et rêves de révolution et à ce moment l’histoire, fils de l’exil. « D’autre mains auront tes mains. / Et les miennes un autre pays. / Mais sur la carte / de nos mains / il y aura un creux / sans fin. »
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Que mourait Emile Nelligan en 1941. Claude Léveillée a mis en musique son poème « soir d’hiver » et ça tombe bien, le froid arrive sur les maisons.
18 novembre 2018
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Cette année que Cathy Ko allait chercher le prix Joël Sadeler à Ballon dans la Sarthe, pour son livre « Maîtresse Poet Poet » paru chez Gros Textes l’année dernière. C’était sympa.
« Conseil en traduction // Apprends la langue des arbres : // Si une feuille tombe / juste au moment où tu passes, / c’est que l’arbre te dit BONJOUR. // Si une deuxième feuille / tombe juste après, / c’est que l’arbre te dit JE T’AIME. // Si aucune feuille ne tombe, / c’est que c’est un arbre TIMIDE. »
Et l’occasion de se rappeler quelques petites perles de Joël Sadeler : « Enfants // Enfants petits enfants / Grimpez sur le dos / De vos parents / Avant d’avoir vos parents / Sur le dos. »
18 novembre 2018
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Que naissait José Saramago en 1922. Un auteur qui écrit « Mauvais, les hommes le sont tous, la différence réside seulement dans la manière de l'être. » ne peut pas être mauvais. C’est un peu comme les poèmes.
Ce 16 novembre dans une chambre formule 1 de la périphérie du Mans, je feuilletais de mauvais poèmes dans le numéro 4 de la revue Ubacs (1978) « Et si nous nous améliorions à qui mieux mieux » écrivait à cette époque Jeffrey Arrham à la page 29 de ce numéro, un auteur que je risque bien de ne jamais plus citer de ma vie.
18 novembre 2018
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Que mourait Gisèle Prassinos en 2015. C’est toujours une joie lorsque je dégotte un vieux bouquin de cet auteur dans une brocante. Elle est peut-être un peu oubliée à cause d’une légèreté ludique, la simple envie de s’amuser : « C’est important l’humour, ça aide à vivre. Il faut toujours se moquer un peu de soi, prendre de la distance par rapport à ce qu’on peut dire de vous…Mes personnages, je les rends ridicules, mais j’ai en même temps une grande tendresse pour eux. Ce n’est pas un humour cruel comme on l’a parfois dit. Par exemple, lorsque j’ai écrit une histoire sur un petit garçon sans jambe qui lisait installé dans une cave, ce qui lui permettait de ne voir passer toute la journée devant lui que les jambes et les pieds des gens, on a voulu voir de la cruauté dans mon écriture. Moi, je l’aime cet enfant, avec sa souffrance et son désir : c’est plutôt naïf. »
Ce 15 novembre au bord d’une route avec les brumes de Sologne je lisais dans le fourgon de l’épicerie littéraire « Province perdue » de Luis Mizon (éditions Les Cahiers du Royaumont 1988). Autre livre de brocante, un peu oublié, un feu d’artifice d’images et de sens cachés à la fois éthéré et terriblement charnel avec des jardiniers qui vieillissent dans des bibliothèques saccagées, des contrebandiers aux œufs d’or, des antiquaires hystériques et des sorciers en exil. « Le jardinier et le bibliothécaire / échangent leurs chapeaux / leurs hiéroglyphes de sable / leurs colliers de fraises de framboises/ L’un s’habille de papier d’argent / l’autre d’immortelles / Ils rendent visite aux horloges dans les tours / il caressent décombres et terrasses / Le linge des enfants qui sèche au soleil » Va savoir s’ils ont des jambes ces enfants…
14 novembre 2018
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Que naissait Benjamin Fondane en 1898.
"L’homme serait-il seul à ne rien
savoir quitter, épris de ses racines,
comme quelqu’un qui se souvient
à peine du pays qui l’avoisine ?
Parfois aussi il se demande si
ce lui serait très dur de disparaître
sans qu’il ait pu, dans l’eau des choses,
être le long reflet d’un calme réussi."
13 novembre 2018
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Que mourait Saki en 1916 dans un trou d’obus de la Somme. Si on aime un certain humour cruel et glacé qui dévoile à travers des plaisanteries macabres les noirceurs de l’homme, on rit. « L’art de la vie publique, c’est de savoir exactement où il faut s’arrêter, et d’aller un peu plus loin. »
C’est également un 13 novembre que François Caradec s’en retournait en 2008. Ce type était une encyclopédie de la littérature des marges, celle que l’élite regarde avec un soupçon de mépris à peine retenu. Il a su mettre en valeur avec passion nombre d’auteurs de derrière les fagots, le genre de gus précieux pour les bouquinistes. Pas forcément connu pour ses poésies, on trouve de fort belles choses, l’obsédant balancement de l’alexandrin, dans un recueil paru chez Maurice Nadeau en 2017.
« Le retour // Nous voici sans regard et sans gestes / nous voici harassés de marches inutiles / les mains posées sur nos genoux / les chaussures trouées et les genoux usés / la voix creuse et le geste incertain / nous voici inutiles et le regard usé / et les mains incertaines et les genoux posés / chaussures harassées et nos gestes troués / le regard inutile et la voix incertaine / comme au jour où sortant d’un cauchemar usé / nous nous sommes trouvés face à face inutiles / nous n’avons pas osé le geste qui caresse / le regard qui sourit et la voix qui pardonne / parce que le temps mort est le temps du passé / et que nous étions là pour la dernière fois / revenus sur le quai d’une gare effacée / sans regard et sans voix sans gestes harassés. » (Les Nuages de Paris. Editions Maurice Nadeau, 2007)
Il a également introduit en France les planches de Little Nemo au début des années 60.