En 1935 que mourait Fernando Pessoa et tous ses pseudonymes, ou pas, allez savoir. Comme beaucoup de gens (enfin quelques un(e)s), je lis en boucle à très petites doses son « livre de l’intranquillité » toujours sur ma table de chevet et j’ai aussi l’impression de laisser glisser ma vie dans la rue des Douradores. Ou quelque chose d’un peu pareil, du côté du désespoir tranquille et du détachement serein. Le pied quoi : « Le plaisir que l’art nous offre ne nous appartient pas, à proprement parler : nous n’avons donc à le payer ni par des souffrances, ni par des remords...
Par le mot art, il faut entendre tout ce qui est cause de plaisir sans pour autant nous appartenir : la trace d’un passage, le sourire offert à quelqu’un d’autre, le soleil couchant, le poème, l’univers objectif.
Posséder c’est perdre.
Sentir sans posséder, c’est conserver, parce que c’est extraire de chaque chose son essence. »
Ce 30 novembre en écho à Pessoa j’ai feuilleté le « Carnet du désert » de René Pons (éd. Rhubarbe) depuis plus d’un an sur mon bureau. Et là aussi ce privilège rare, l’impression qu’on peut ouvrir au hasard et qu’on va trouver de quoi vibrer : « Il ne lui restait plus qu’un filet de voix.
La nuit, quelquefois, il se levait pour aller à la pêche aux illusions.
Dans la brume, il voyait des îles qui n’étaient pas des îles, des baleines qui n’étaient pas des baleines, il entendait des sirènes qui n’étaient pas des sirènes et ne ramenait que des reflets dans ses filets…
Et quand il voulait dire sa solitude, l’encre s’effaçait avant même qu’il eût achevé d’écrire. »