Et voilà les trois dernières publications Gros Textes 2016.
Le dernier oiseau du solstice de Jean-Pierre Gandebeuf
Un recueil de poésie foldingue mais d’une foldinguerie parfaitement maîtrisée, tout ce que j’aime.
« L’amour est un acquis précieux qu’il ne faut pas galvauder : / une petite réserve pour les nuits sans lune, sous / l’ensauvagement précieux des bocages et des sites / d’anachorètes perpétuellement soumis au silence, c’est tout. »
« Je ne saurais faire beaucoup mieux qu’assez bien. Telles / sont mes limites. Si je m’accoude au bar, c’est pour méditer / sur Pluton et boire les yeux fermés deux décalitres de fleurs / de framboisier. Il ne faut jamais changer d’encre. »
Le bubon de Florentine Rey
La première rencontre avec Florentine ce fut sur une scène d’un théâtre de poche à Sète pendant de festival des voix vives. J’avais adhéré à cette poésie performé qui met en joie et en éclats de rire.
https://www.youtube.com/watch?v=9p9BkLEyzzo
Dans Le bubon, avec trois fois rien, un bout de dérisoire, Florentine nous dessine une métaphysique du minuscule insolite.
« Quand il dégonfle la peau plisse. //
Le BUBON est un frisson, un frisson de chair de poule, une petite mort dans la bouche. / Le BUBON : une fenêtre ouverte sur l’au-delà. / Messager du divin ? / Dieu venu mettre son grain de sel dans ma bouche ? / DIEUBUBON récupère ta marmaille ! // Et si produire des BUBONS c’était donner forme à la mort ? / Et si le BUBON m’empêchait de mourir ? »
Cannibale Bambou de Thierry Renard
C’est un qui regarde sa vie du haut de ses cinquante balais. Et ça nous cause d’amour, de temps qui passe, du monde comme il va ou ne va pas, de la société déglinguée qu’il faut bien prendre du temps pour la reglinguer, il appelle ça faire de la politique, et ça cause aussi poésie, littérature et quotidien, de sexe, de tristesse et de joie, d’enfants et de petits enfants. Il a des postures de grand ado le Thierry dans l’écriture, une poésie naïve qui fonce droit sans regarder en se foutant bien de la bienséance littéraire. Je suis ravi de finir 2016 avec ça.
« La voix et le souffle m’ont été donnés / la voix et le souffle ainsi que la musique des mots / la musique des paroles pauvres abandonnées / et tout le bruit que font / les gens qui parlent une autre langue que la mienne / et tout le bruit qui m’est renvoyé à la face aux oreilles / Il est minuit et je me penche sur moi-même / Il est midi et je rouvre enfin les yeux / Nice place Garibaldi rue Rusca et le port / j’ai longtemps marché sous le soleil / me suis assis aux terrasses ai bu un café et un autre / puis une menthe à l’eau glacée / un Perrier avec une rondelle de citron / Avec moi trois compagnons d’infortune / trois illustres naufragés rescapés / Allen Ginsberg Nick Tosches Pasolini / Avec moi trois passagers clandestins...»
Et dans notre épicerie littéraire, place du village à Châteauroux-les-Alpes, on peut trouver (peut-être) Les hauts-quartiers de Paul Gadenne, éd. Points seuil.
Un gros pavé que l’on peut qualifier légitimement je crois de Dostoïevskien tant l’analyse psychologiques des personnages y est poussée autour de personnages dont on ne parvient pas à épuiser la complexité avec en parallèle une analyse d’une société de l’après-guerre où une bourgeoisie bousculée réaffirme son pouvoir misérable sur le dos des plus faibles. Au centre du propos, il y a un héros trainant une existence trop lourde et qui prétend maladroitement réaffirmer en pure perte une simple liberté de penser dans un monde d’hypocrisie.
« Didier ressentit devant Lucien l’espèce de respect compatissant que l’on éprouve pour ceux qui ont souffert à notre place. Car nous avons tous mérité d’être malheureux, trahis, malades, déportés, et il y en a quelques-uns seulement qui paient pour nous. Nous avons tous mérité de naître sans patrie et d’être persécutés à cause d’un signe que l’Ange a inscrit pendant la nuit de notre naissance sur notre visage ou notre porte – et seuls quelques-uns le sont. »
Et pour illustrer un document qui rend compte de l’œuvre et de l’auteur : http://www.ina.fr/video/CPF10005871
Et un peu de tendresse libertaire pour finir l'année avec un qu'il faut pas oublier :
« …Moi j’voulais simplement / Qu’on me parle d’amour / Qu’on m’dis’ les homme’s les chiens / Sans qu’ça tourne au discours / Qu’on m’dis’ les mains les bras / Mais qu’on m’ dis’pas les poings / Les poings ça sert à rien / Qu’à matraquer dans l’tas / / Les flics ça suffit bien / Puisqu’on les paye pour ça… »