Si les éditions Gros Textes peuvent se passer de subventions, il n’en va pas de même lorsqu’on veut organiser des festivals de spectacles vivants avec des morceaux de poésie dedans, ce que fait l’association Rions de Soleil à laquelle nos éditions sont rattachées.
Cette semaine j’ai participé à la grande course associative aux subventions. Parfois je me dis que c’est une façon de s’occuper de politique par le biais de l’animation de territoires, la fabrique de lien social et autres dynamiques solidaires avec en permanence en étendard le sacro saint projet qui doit toujours être paré des attraits de la nouveauté. On rencontre des élus, on entrevoit (d’assez loin mais quand même) les problématiques budgétaires des collectivités, on performe dans la langue des sigles. A d’autres moments, je me dis que c’est bien là du temps gaspillé à se vendre, du temps perdu comme évoquait Prévert : « " Dis donc, camarade soleil, tu trouves pas que c'est plutôt con de donner une journée pareille à un patron ? ", à gratter du papier et rassembler des pièces justificatives sauf que là on se la raconte un peu, on se force à croire que c’est pour l’éducation populaire, l’accès du plus grand nombre à la culture etc… Tout ça pour dire que cette semaine en corrigeant des épreuves du bulletin de mon syndicat (la CNT-AIT), je suis tombé sur ce texte de Christian Paccoud (Christian Paccoud, on a pu le faire venir chez nous il y a quelques années grâce à de l’argent public – ah contradiction quand tu nous tiens) et c’est tout ce que j’ai envie de partager de ma semaine en ce dimanche soir avec en prime une vidéo pub pour son festival estival du fromage de chèvre et la délivrance d’un message fondamental.
Lettre à tous ceux et celles qui parlent debout,
Le Gros Cœur répète tous les dimanches dans un bistrot du 20ème à Paris : « La joie du peuple » et dimanche dernier c’était la fête. Nous, on essaie de faire le plus de fêtes possible alors celle-là, on ne pouvait pas la rater ! Et c’est là, au beau milieu de tous ces visages radieux, que j’ai compris ce qui fait que parfois, on ne nous comprend pas : nous ne sommes pas des professionnels ! Nous, on ne soigne personne, on ne réinsère personne, la fraternité chez nous c’est naturel. On rit, on se fout sur la gueule, on s’aime on se quitte gratuitement. A l’ancienne, comme avant, du temps qu’on parlait à son voisin sans l’intermédiaire d’un éducateur de quartier.
On ne part pas en RTT après une soirée réussie. Nous après une belle fête, après un beau spectacle, un grand moment de bonheur ou de colère on recommence ! Sans effort, sans arrière pensée, on chante, on gueule, on écrit, on peint, on rock’n’roll pour rien ! Jamais on ne fait de réunion, de prévisions, d’objectifs encore moins de bilans, ou de résultats : on est gentils pour rien. Sans y penser, sans récompenses. La fraternité n’est pas un métier !
Ah oui, mes amis qui parlent debout, mes amis de Courzieu, mes amis des troquets, vous qui parlez avec le vent : ne changez rien ! Les professionnels de l’humanité nous appellent parfois et nous on vient, on partage, on chante, on rit, on danse, on sourit et ça leur fait du bien, ça ressuscite parfois des sentiments oubliés mais ne nous trompons pas, nous n’aurons ni diplômes ni salaires pour ça et c’est tant mieux : ça salirait tout si ce n’est déjà fait !
Alors laissons les professionnels à leurs bilans, gardons cette force de vie qui soulève les montagnes institutionnelles, ce ne sont pas quelques dollars qui nous feront la peau. Vous êtes beaux, même quand vous dites des conneries, vous êtes la force qui manque à l’humanité, vous êtes la beauté du geste. Continuons nos activités joyeuses mais ne les calculons pas. Laissons la joie opérer, riches ou fauchés, sobres ou sportifs, sans ambition, sans stars, sans gloire.
Alors oui messieurs les ministres, responsables, chargés de mission, sociologues et autres thérapeutes des inégalités sociales, le Gros Cœur, les Sœurs Sisters, ma pomme et tous les fous qui nous entourent, qui nous éclairent, nous sonorisent et qui retroussent leurs manches poursuivent leur chemin d’utopie et chantent la paroles de ceux qu’on a fait taire avec au fond du cœur un seul poème : ni dieux, ni maîtres !
Christian Paccoud